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Enquêtes

Les lobbies cherchent à décrédibiliser le Nutri-score

Indiquant la valeur nutritionnelle des produits alimentaires, le Nutri-score est aujourd’hui utilisé dans sept pays d’Europe – Un logo nutritionnel obligatoire dans toute l’Europe dès 2023 ? – L’industrie agroalimentaire ne l’entend pas de cette oreille, mais la résistance s’organise, sous la houlette du nutritionniste Serge Hercberg.

Le Nutri-score bientôt présent dans les rayons de supermarché de toute l’Union européenne ? Un cauchemar selon les industriels de l’agroalimentaire, qui ferraillent dur pour empêcher sa généralisation prochaine. La Commission européenne doit en effet se prononcer, avant la fin de l’année 2022, sur l’obligation d’un étiquetage nutritionnel harmonisé à l’échelle des Vingt-Sept.

Pour faire face à la recrudescence de ces attaques, 36 associations de professionnels de santé et de défense des consommateurs ont créé, début juillet, un collectif de défense du Nutri-score. Une pétition, qui a recueilli plus de 8 000 signatures au 12 juillet, a été lancée en parallèle, avec deux objectifs : défendre le Nutri-score et alerter les pouvoirs publics et l’opinion sur les méthodes des lobbies. Le nutritionniste et épidémiologiste Serge Hercberg, à l’origine du Nutri-score, est un habitué des batailles contre la puissante industrie agroalimentaire.

• Pourquoi constituez-vous un collectif de défense du Nutri-score ?

La constitution d’un collectif et la mise en ligne d’une pétition visent à contrecarrer le regain d’attaques auquel on assiste de la part des lobbies depuis plusieurs mois à l’encontre du Nutri-score. Rappelons-le, cet affichage nutritionnel, auquel sont déjà habitués les foyers français depuis 2017, n’est pas obligatoire : seuls 60 % des produits de nos rayons l’affichent.
Et, si six autres pays européens (Belgique, Espagne, Allemagne, Pays-Bas, Suisse et Luxembourg) ont emboîté le pas à la France, la décision de le généraliser ne peut être prise qu’à l’échelle européenne.

Or, aujourd’hui, la situation risque d’évoluer. Dans le cadre de sa stratégie Farm to Fork (« Du champ à l’assiette » en français), la Commission européenne prévoit la mise en place d’un logo nutritionnel unique et obligatoire dans toute l’Union européenne d’ici à 2023. Ce dont personnellement nous nous félicitons, mais qui hérisse au plus haut point tous les lobbies de l’agroalimentaire.

• Le logo nutritionnel européen sera-t-il semblable à celui que l’on connaît en France ?

C’est tout l’enjeu des discussions actuelles : quel système d’affichage nutritionnel adopter ? Plusieurs sont en jeu, dont celui du Nutri-score que nous connaissons en France. Une consultation a été organisée en début d’année pour sonder l’opinion des citoyens européens à ce sujet, et le Nutri-score a été majoritairement plébiscité.
Mais d’autres pays, et au premier chef l’Italie, poussée par le géant Ferrero et des fédérations agricoles du parmesan, du gorgonzola, de la mozzarella ou du prosciutto, tentent de faire échouer sa généralisation. Ils proposent ainsi un autre étiquetage, baptisé Nutrinform, qui précise uniquement les teneurs en grammes en sel, sucre, gras, gras saturé et énergie. C’est moins ambitieux, et surtout moins clair pour le consommateur.

• Qui sont ces lobbies qui s’opposent au Nutri-score ?

On retrouve naturellement les géants de l’industrie agroalimentaire, Coca-Cola, Ferrero, Lactalis, Mars ou Mondelez. Ces derniers se sont toujours ouvertement opposés au Nutri-score.
Mais d’autres lobbies, tout aussi puissants mais au discours légèrement différent, sont également vent debout contre ce projet de généralisation. Il s’agit des filières agricoles – essentiellement celles de la charcuterie et de la fromagerie –, renforcées par la Copa-Cogeca, qui fédère les syndicats agricoles au niveau européen, à l’image de la FNSEA en France.
Elles mettent en avant le « petit producteur » et certains produits dits « de terroir », qui nécessitent un certain savoir-faire et bénéficient parfois d’une appellation d’origine protégée (AOP), pour expliquer que leur note pourrait les disqualifier aux yeux des consommateurs.
En France, c’est le cas, par exemple, de la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de Roquefort. Aujourd’hui, 70 % des volumes de cette AOP sont entre les mains de la société Lactalis, qui s’est toujours opposée au Nutri-score.

Ces discours portent d’autant plus dans un contexte post-Covid et en pleine guerre d’Ukraine, où les questions de souveraineté alimentaire sont remises au goût du jour.

• Le Nutri-score nuit-il aux produits du terroir ?

Non, car il ne s’agit pas de la même chose. L’outil de santé qu’est le Nutri-score a pour unique ambition d’informer le consommateur sur la qualité nutritionnelle d’un produit. Une AOP, une indication géographique protégée (IGP) ou un Label rouge, eux, garantissent la provenance d’un produit alimentaire ou de meilleures conditions de production, par rapport à celles d’autres produits similaires.
Ces labels n’exemptent pas les aliments d’être gras et salés. Un fromage calorique et riche en acides gras et en sel, même s’il est issu du terroir, reste un fromage calorique et riche en acides gras et en sel ! Cela ne signifie pas que le consommateur ne doit pas en consommer : le Nutri-score l’alerte simplement sur le fait qu’il faut en consommer de manière raisonnable. La même critique est formulée par les lobbies de l’agroalimentaire au sujet des produits transformés, parfois mieux notés qu’un produit simple.
Mais le calcul du Nutri-score n’a pas pour objectif d’intégrer les additifs associés au produit. Ces faux arguments sont dangereux, car ils entretiennent la confusion dans l’esprit du public. Ils sont également repris par certains élus, et même par les consommateurs.

• Comment les lobbies opèrent-ils ?

L’objectif des lobbies, rappelons-le, est de bloquer les mesures de santé annoncées et de les retarder lorsque la procédure est entamée ; et, s’ils n’y arrivent pas, de les détricoter. Ils brouillent ainsi les cartes pour décrédibiliser le Nutri-score.
On l’a vu récemment au Mexique : le géant Nestlé, qui a fini par se résoudre à adopter le Nutri-Score en France, en 2019, après des années d’opposition frontale, a tenté au même moment de faire pression sur la politique de lutte contre le surpoids au Mexique. Leur opération a heureusement échoué dans un pays où 7 habitants sur 10 sont aujourd’hui en surpoids ou obèses.

Ce travail de sape passe par des pressions sur le monde politique. On vient de vivre en France une période électorale : il est certain que nombre de parlementaires ont été sollicités par différents lobbies, mais également par le monde médiatique et par les réseaux sociaux.
Cela nous inquiète, car des associations de défense des consommateurs font remonter que ces derniers sont de plus en plus perméables à ces discours complotistes qui voient les scientifiques comme des « hygiénistes moralisateurs » et accusent l’État de se mêler « injustement » de notre assiette. Leur part reste très minoritaire, mais on voit bien qu’à force d’être répétés certains messages finissent par passer.

• Comment faire pour tenter de les contrer ? Ou tout du moins d’encadrer la pratique du lobbying ?

C’est aussi le sens de la constitution du collectif fondé début juillet. À plusieurs, notre réponse sera mieux coordonnée, et peut-être plus percutante. Il est important que la parole des scientifiques et des consommateurs soit plus forte et plus influente du côté des parlementaires. Car, si les élus ont le droit d’entendre les lobbies, une décision de santé publique devrait avant tout se baser sur la science.

• Le lien entre le risque de cancer et les nitrites, présents dans la charcuterie, confirmé

Le doute n’est plus permis : le lien entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrates et nitrites est bien confirmé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Les autorités sanitaires françaises ont rendu le 12 juillet 
un avis très attendu et s’alignent ainsi sur les conclusions du Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Cet organisme indépendant, rattaché à l’Organisation mondiale de la Santé, a classé dès 2015 les viandes transformées dans la catégorie « cancérogène avéré ». Ces sels de nitrite et de nitrate sont principalement utilisés par l’industrie agroalimentaire pour préserver la durée de conservation de la charcuterie et des viandes transformées. Nommés E249, E250, E251 et E252 sur les emballages, ce sont aussi ces additifs qui donnent la couleur rose au jambon. L’Anses préconise de « réduire l’exposition de la population aux nitrates et nitrites par des mesures volontaristes en limitant l’exposition par voie alimentaire ». Le gouvernement a annoncé dans la foulée un « plan d’actions » pour réduire ou supprimer leur utilisation « dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire ». Il sera présenté au Parlement à l’automne. Il rappelle en parallèle qu’en France « les filières charcutières sont déjà en deçà des seuils » autorisés au niveau européen.

• À lire : Mange et tais-toi. Un nutritionniste face au lobby agroalimentaire, de Serge Hercberg, Humensciences, 20 €.
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Hebdomadaire La Vie – publié le 20/07/2022,  par
Carole Sauvage

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